par Amelie | 8 Jan 2022 | BD, Destin de Femmes, Mes lectures, Non classé
La BD « Idiss » –d’après le livre de Robert Badinter- superbement mise en image par Fred Bernard, et scénarisée par Richard Malka , nous retrace le parcours de vie de la grand-mère de l’auteur, de 1890 en Bessarabie à la Seconde Guerre mondiale en France.
« J’ai écrit ce livre en hommage à ma grand- mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire Russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d’amour de son petit-fils.«
De sa condition d’épouse vivant seule et très pauvre avec ses deux garçons et ses beaux-parents dans un Shtetel* , attendant son homme engagé dans les combats pour le Tsar , à sa fierté de mère qui découvre le confort et la paix grâce à la réussite de ses fils qui l’ont précédé -bien des années plus tard- lors de son arrivée en France (à Paris) , l’histoire d’Idiss est à la fois exceptionnelle et universelle. Chaque femme peut se retrouver sous ses traits, dans sa combativité, dans l’amour qu’elle porte aux siens : Idiss est une femme inspirante qui a du faire face tout au long de sa vie à des épreuves certaines et notamment à la confrontation avec l’antisémitisme dans ses plus sombres et indicibles aspects…
Une femme et une mère courage, qui protégera comme une louve et autant que possible sa tribu…Car les épreuves successives la laisseront parfois impuissante… Elle se réfugiera alors dans la foi et surtout dans l’amour dont elle chérit les siens.
Elle deviendra par la suite une grand-mère protectrice en particulier pour les enfants de Chifra (sa fille, son troisième enfant) auprès de qui elle vivra après le décès de son époux. Les origines modestes de cette grand-mère qui n’a pas eu la chance d’apprendre à lire, de s’instruire influenceront certainement le jeune Robert, et son frère Claude tout comme leur maman qui souhaite pour ses fils ce qu’elle n’a pas pu avoir étant jeune. Une soif d’apprendre et des prix d’excellence à l’école pour ces deux garçons, seront la source d’une immense fierté pour la famille…
Mais la petite histoire se mêlera à nouveau avec la Grande, et la Seconde Guerre mondiale impactera une nouvelle fois lourdement la vie de cette famille …
Cette histoire bouleversante d’authenticité, profondément humaine a été sublimée par la qualité des dessins et la scénarisation des auteurs…
Magnifique!
*(mot yiddish désignant une bourgade juive d’Europe centrale)
par Amelie | 13 Nov 2021 | Destin de Femmes, Mes lectures
« Le coût de la vie » de Deborah Levy est le deuxième volet d’un vaste projet autobiographique « Living autobiography » …Je n’ai pas encore lu les autres…mais j’ai adoré celui ci !
Résumé:
A l’aube de ses cinquante ans, « juste au moment où ma vie était censée ralentir, se stabiliser et devenir plus prévisible » l’auteure nous livre la fin de son mariage qui marque pour elle une véritable renaissance, avec son lot de troubles, d’inconnu et de premières fois… mais aussi le renoncement à son confort de vie (matériel et immatériel), pour se jeter corps et âme dans SA vie à elle, avec pour tout bagage, un vélo électrique et une plume d’écrivain…
« Arracher le papier peint de ce conte de fées qu’est la maison familiale où le confort et le bonheur des hommes et des enfants ont été prioritaires, c’est trouver en dessous une femme épuisée, qui ne reçoit ni remerciements ni amour et qu’on néglige. Il faut de l’habileté, du temps, de la dévotion et de l’empathie pour fonder un foyer qui fonctionne et dans lequel tout le monde se sent bien. C’est surtout un acte d’une générosité immense que d’être l’architecte du bien-être de tous les autres. »
Ce récit passionnant empli d’esprit et d’humour, nous fait voyager au travers de son chemin de « reconstruction » avec ses ressentis, ses blessures, son courage, et surtout de son en- vie de vivre enfin, librement et pour elle… tout en continuant à être une mère attentive aux besoins de ses filles…
« J’ai gagné en vigueur à 50ans, à un âge où mes os étaient censés se fragiliser «
Mais comme elle le dit très bien :« la liberté n’est jamais libre » et « quiconque s’est battu pour être libre sait ce qu’il en coûte »…
La jeunesse n’est donc définitivement pas une question d’âge, et l’affranchissement de ses propres limites peut s’opérer à tout moment.
« Cette histoire ne lui appartient pas à elle seule, c’est l’histoire de chaque femme confrontée à l’impasse d’une existence gouvernée par les normes et la violence sournoise de la société, en somme de toute femme en quête d’une vie à soi. »
Inspirant et galvanisant.
« Ainsi que Simone de Beauvoir nous l’avait dit, les femmes ne sont pas censées éclipser les hommes dans un monde où le succès et le pouvoir leur sont destinés. Pas facile d’incarner le privilège historique de la domination masculine (mis au goût moderne) si monsieur est économiquement dépendant des talents de madame. »
par Amelie | 5 Juin 2021 | Coup de Cœur !, Destin de Femmes, Mes lectures, Roman
« Le destin , ce n’est pas une question de chance. C’est une question de choix. »
1923. Rosa, jeune espagnole de 15 ans décide de traverser les montagnes pour rejoindre le Pays Basque et travailler le temps d’une saison dans un atelier d’espadrilles, comme tant d’autres à cette époque, surnommées les « hirondelles« …
Un premier drame va se dérouler pendant cette dure traversée . Ce sera le point de départ de toute une vie; une vie que l’on découvre tout au long de cette lecture captivante, où la petite histoire nous raconte la Grande…
Pour Rosa, il ne s’agissait pas de se constituer un trousseau pour se marier, cette « migration » temporaire devait lui permettre de prendre son destin en main, d’échapper à sa condition… La nuance est importante, pour comprendre la vie de cette femme, fictive certes, mais qui représente à elle seule les changements sourds qui s’opèrent en chaque femme à cette époque.
Arrivée en France, rien ne se déroulera comme prévu, et cette jeune « hirondelle » va croiser la route d’intrigantes « cocottes »…
Des destins de femmes extraordinaires, d’un temps pas si lointain, où la condition féminine était encore chaotique.. Des sujets, pour le droit des femmes y sont abordés sous une plume juste et poignante, et à travers la vie de Rosa et de ses amies, on replonge – parfois avec effarement- dans des moments dramatiques de l’Histoire des Femmes, qui ont permis , progressivement (et tout n’est pas encore gagné !) l’évolution de notre société…
« Je ne me souviens pas de l’adresse ni des mots prononcés. Seulement du sang, des cris, et des aiguilles à tricoter. »
« Tu dois savoir qu’à l’époque, Liz, les divorcées étaient forcément considérées comme des traînées. Ce que l’on avait du mal à croire quand on voyait Mlle Thérèse, ses cheveux de neige, ses longues jupes plissées et son chemisier boutonné jusqu’au cou. »
« le souvenir de ma mère morte en couches, les cernes de Carmen et les coups que Robert frappait parfois la nuit à la porte, me faisait dire que je vivais mieux sans. Sans époux, sans amant. »
Pourtant à travers ces destins de femmes parfois tragiques, c’est bien une ode à la vie et à ses plaisirs dont nous parle l’auteure.
Recueillie dans la maison des Demoiselles, ces femmes mystérieuses et fantasques « qui vivent au milieu des livres, des jarretières et des coupes de champagne », Rosa va peu à peu s’émanciper, grandir et laisser la jeune fille fragile derrière elle pour devenir la femme forte, libre, audacieuse et inspirante qu’elle restera toute sa vie.
« Il n’y a que trois règles ici. La première: ne jamais tomber amoureuse. La deuxième: ne jamais voler l’homme d’une autre. La dernière: ne boire que du champagne millésimé » De ces trois règles, une seule pourtant serait respectée. »
Ce livre est un voyage .. voyage dans le temps, bien sûr, mais aussi à travers l’Espagne, le Pays Basque (dont l’auteure parle avec tant d’amour !), Paris, et même l’Amérique ! .. avec pour fil rouge, la résilience et l’émancipation de ces femmes « hors normes »…
« Le Paris de la Belle époque était celui de toutes les extravagances »
« Les pigeons, les oies, les grues, les cocottes, les hirondelles. Tous ces noms d’oiseaux, volatiles en quête de plaisir et de liberté. »
« J’avais été élevée par une vielle dame et un prêtre pour qui le plaisir n’était synonyme que de culpabilité. »
« Au milieu des machines, des croquis, des maquettes et des boîtes à chaussures , on dansait, on riait on chantait ».
« Les Demoiselles », c’est enfin et avant tout l’histoire de femmes cabossées par la vie, qui ne se sont pas résignées, et qui malgré les épreuves se sont battues avec courage pour leur liberté et leur droit au bonheur. De leurs blessures elles feront leurs forces, tout en tendant leurs mains à leurs sœurs d’infortune.
L’écriture authentique, documentée, passionnée d’Anne Gaelle Huon m’ a transporté… Difficile pour moi de me défaire de cette histoire brûlante, incandescente… ( à quand un tome 2 ?!? ) Merci Madame pour ce beau voyage, pour ces frissons, pour ces émotions, pour la narration de ce vécu, de l’histoire de ces « hirondelles », et de ces « cocottes », que je ne connaissais que trop peu, et qui s’inscrit pourtant telle une énième victoire en chacune d’entre nous.
Ce roman est tout simplement enivrant…alors, à l’image de ces Demoiselles, je vous invite à lire ce roman , et à trinquer à la vie avec une coupe de champagne millésimé 😉
« L’espoir, ce n’est pas de croire que tout ira bien, il a soufflé. Mais de croire que les choses ont un sens. »
par Amelie | 26 Avr 2021 | Coup de Cœur !, Destin de Femmes, Mes lectures, Prix Rosine Perrier, Roman
J’ai découvert Gaëlle Nohant et sa plume extraordinaire à travers ce roman, sélection du prix Rosine Perrier 2021. Un coup de cœur immense pour ce destin de femme forte , qui se révèle à elle même au travers des épreuves : « la femme révélée » , une héroïne touchante de part sa fragilité et la force qu’elle va puiser en elle, grâce à sa furieuse envie de survivre…de VIVRE…
L’histoire :
Nous plongeons dans la grande Histoire, celle du Paris et du Chicago d’après guerre, des années 50 à 70.
Eliza, désormais rebaptisée Violet ,va fuir son mari (entrepreneur sans scrupules qui profite de la ségrégation pour loger à prix d’or la population noire dans des taudis infâmes), et son pays d’origine pour se réfugier dans le Paris tant aimé de son père qui n’est plus de ce monde. Ce père sociologue, homme de conviction, et fervent défenseur du droit des opprimés.
Elle laissera derrière elle sa vie, son statut social, mais bien plus que tout , son fils chéri Tim, qui est ce qu’elle a de plus cher au monde.
Pour sa survie, pour l’espoir de le retrouver un jour, pour lui transmettre qui elle est, lui partager une autre vision … elle se BATTRA .
Son arme ? C’est sa passion, son art…la photographie. Timidement, elle mettra son appareil photo entre elle et le reste du monde, et réhabilitera par la subtilité et l’amour de son regard, les plus démunis…

Elle en fera alors son métier, puis son fer de lance au cœur des émeutes de Chicago où elle fera son retour 20 ans plus tard…
Vous l’aurez compris, c’est un roman qui nous parle d’engagements, de combats, de racisme, de la condition des femmes -encore et toujours- mais aussi d’art (la photo) et de musique ! … Un fond de jazz est omniprésent , comme un fil rouge envoûtant qui nous enveloppe de grâce et de poésie pour aller se confronter à cette période trouble de l’ Histoire de l’humanité… et malheureusement encore si contemporaine …
» Morceaux choisis «
«Dans sa violence, le destin m’envoie un signe : c’est ici et maintenant que je dois retrouver les ressources de ma survie. Elle ne devra rien à Adam, hormis l’argent du bracelet offert au temps où il ne ménageait pas ses efforts pour m’apprivoiser. Je ne pouvais le porter sans penser à tout ce qui s’était défait, et qui n’avait peut-être existé que dans l’esprit d’une gamine naïve et impatiente d’aimer . La froideur du métal reflétait celle de mon mari : une main glacée retenant mon poignet. »
« J’ai rencontré cet homme qui était amoureux de moi, rassurant, protecteur. à ce moment-là ma vie était une bataille, mon père était mort et tout à coup, j’avais le sentiment d’arriver au port. Et puis ça me permettait d’échapper à ma famille maternelle… »(…) « Dans mon milieu , la solitude était le sort réservé aux laides et aux veuves, que personne ne recevait car on les soupçonnait de voler les maris des autres. »
« Nous avons fait de la nuit notre territoire, ne dormant que par courtes redditions. Nous n’avions plus histoire ni passé, tenaillés par une faim insatiable. Son corps devenait la continuité du mien. Ma géographie l’émouvait. »
« Regardez ces visages de gosses, ces jeunes femmes qui nous sourient dans leur décor glauque, ces vieillards qui ont l’air de traverser le temps, d’avoir fait toutes les guerres… Ce qui touche, ce n’est pas leur univers sordide, c’est le regard que vous portez sur eux . Rien de misérabiliste, vous n’en faites pas des victimes. Au contraire, vous leur rendez leur dignité. En miroir vous ridiculisez ce monde de blanc qui les traite en inférieurs. Ces photos nous parlent aussi de celle qui les a prises…
« Après l’avoir quitté, Robert m’a dit que les Maghrébins étaient les Noirs des Français. Je m’interroge sur le besoin qu’ont les hommes de se fabriquer des inférieurs sous toutes les latitudes. »
« J’avais été lente à comprendre des choses importantes mais ce chemin était le mien; c’était à ce prix que je me sentais aujourd’hui plus solide et plus libre, capable de colère et d’amour. Je n’avais plus besoin que le fantôme de mon père me tienne la main. »